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si tendre et si passionnée, si attentive aussi à mes plus légers besoins, que c’était entre elle et moi une perpétuelle émulation de services et d’amour. Je ne regrettais point l’Europe ; au contraire, plus nous avancions vers l’Amérique, plus je sentais mon cœur s’élargir et devenir tranquille. Si j’eusse pu m’assurer de n’y pas manquer des nécessités absolues de la vie, j’aurais remercié la fortune d’avoir donné un tour si favorable à nos malheurs.

Après une navigation de deux mois, nous abordâmes enfin au rivage désiré. Le pays ne nous offrit rien d’agréable à la première vue. C’étaient des campagnes stériles et inhabitées, où l’on voyait à peine quelques roseaux et quelques arbres dépouillés par le vent. Nulle trace d’hommes ni d’animaux. Cependant, le capitaine ayant fait tirer quelques pièces de notre artillerie, nous ne fûmes pas longtemps sans apercevoir une troupe de citoyens de la Nouvelle-Orléans, qui s’approchèrent de nous avec de vives marques de joie. Nous n’avions pas découvert la ville ; elle est cachée de ce côté-là par une petite colline. Nous fûmes reçus comme des gens descendus du ciel.

Ces pauvres habitants s’empressaient pour nous faire mille questions sur l’état de la France et sur les différentes provinces où ils étaient nés. Ils nous embrassaient comme leurs frères, et comme de chers compagnons qui venaient partager leur misère et leur solitude. Nous prîmes le chemin de la ville avec eux ; mais nous fûmes surpris de découvrir, en avançant, que ce qu’on nous avait vanté jusqu’alors comme une bonne ville n’était qu’un