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de-Grâce, où je lui confessais que j’étais allé conduire Manon ; je lui demandais cent pistoles. « Faites-les-moi tenir au Havre, lui disais-je, par le maître de la poste. Vous voyez bien que c’est la dernière fois que j’importune votre affection ; et que ma malheureuse maîtresse m’étant enlevée pour toujours, je ne puis la laisser partir sans quelques soulagements qui adoucissent son sort et mes mortels regrets. »

Les archers devinrent si intraitables lorsqu’ils eurent découvert la violence de ma passion, que, redoublant continuellement le prix de leurs moindres faveurs, ils me réduisirent bientôt à la dernière indigence. L’amour, d’ailleurs, ne me permettait guère de ménager ma bourse. Je m’oubliais du matin au soir près de Manon ; et ce n’était plus par heure que le temps m’était mesuré, c’était par la longueur entière des jours. Enfin, ma bourse étant tout à fait vide, je me trouvai exposé aux caprices et à la brutalité de six misérables qui me traitaient avec une hauteur insupportable. Vous en fûtes témoin à Passy. Votre rencontre fut un heureux moment de relâche qui me fut accordé par la fortune. Votre pitié à la vue de mes peines fut ma seule recommandation auprès de votre cœur généreux. Le secours que vous m’accordâtes libéralement servit à me faire gagner le Havre, et les archers tinrent leur promesse avec plus de fidélité que je ne l’espérais.

Nous arrivâmes au Havre. J’allai d’abord à la poste. Tiberge n’avait point encore eu le temps de me répondre ; je m’informai exactement quel jour je pouvais attendre sa lettre. Elle ne pouvait arriver