quinze pistoles ; je leur dis naturellement en quoi consistait le fond de ma bourse. « Hé bien ! me dit l’archer, nous en userons généreusement. Il ne vous en coûtera qu’un écu par heure pour entretenir celle de nos filles qui vous plaira le plus ; c’est le prix courant de Paris. »
Je ne leur avais pas parlé de Manon en particulier, parce que je n’avais pas dessein qu’ils connussent ma passion. Ils s’imaginèrent d’abord que ce n’était qu’une fantaisie de jeune homme qui me faisait chercher un peu de passe-temps avec ces créatures ; mais lorsqu’ils crurent s’être aperçus que j’étais amoureux, ils augmentèrent tellement le tribut, que ma bourse se trouva épuisée en partant de Mantes, où nous avions couché le jour que nous arrivâmes à Passy.
Vous dirai-je quel fut le déplorable sujet de mes entretiens avec Manon pendant cette route, ou quelle impression sa vue fit sur moi lorsque j’eus obtenu des gardes la liberté d’approcher de son chariot ? Ah ! les expressions ne rendent jamais qu’à demi les sentiments du cœur ! Mais figurez-vous ma pauvre maîtresse enchaînée par le milieu du corps, assise sur quelques poignées de paille, la tête appuyée languissamment sur un côté de la voiture, le visage pâle et mouillé d’un ruisseau de larmes, qui se faisaient un passage au travers de ses paupières, quoiqu’elle eût continuellement les yeux fermés. Elle n’avait pas même eu la curiosité de les ouvrir lorsqu’elle avait entendu le bruit de ses gardes qui craignaient d’être attaqués. Son linge était sale et dérangé, ses mains délicates exposées à l’injure de