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chevaux pour reprendre le chemin de Paris à bride abattue.

« Dieu ! me dit le garde du corps, qui paraissait aussi éperdu que moi de cette infâme désertion, qu’allons-nous faire ? nous ne sommes que deux. » J’avais perdu la voix de fureur et d’étonnement. Je m’arrêtai, incertain si ma première vengeance ne devait pas s’employer à la poursuite des lâches qui m’abandonnaient. Je les regardais fuir, et je jetais les yeux de l’autre côté sur les archers ; s’il m’eût été possible de me partager, j’aurais fondu tout à la fois sur ces deux objets de ma rage ; je les dévorais tous ensemble.

Le garde du corps, qui jugeait de mon incertitude par le mouvement égaré de mes yeux, me pria d’écouter son conseil. « N’étant que deux, me dit-il, il y aurait de la folie à attaquer six hommes aussi bien armés que nous, et qui paraissent nous attendre de pied ferme. Il faut retourner à Paris, et tâcher de réussir mieux dans le choix de nos braves. Les archers ne sauraient faire de grandes journées avec deux pesantes voitures ; nous les rejoindrons demain sans peine. »

Je fis un moment de réflexion sur ce parti ; mais, ne voyant de tous côtés que des sujets de désespoir, je pris une résolution véritablement désespérée, ce fut de remercier mon compagnon de ses services ; et, loin d’attaquer les archers, je résolus d’aller, avec soumission, les prier de me recevoir dans leur troupe, pour accompagner Manon avec eux jusqu’au Havre-de-Grâce, et passer ensuite au-delà des