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rapport du soldat aux gardes, qu’elle prenait le chemin de Normandie, et que c’était du Havre-de-Grâce qu’elle devait partir pour l’Amérique.

Nous nous rendîmes aussitôt à la porte Saint-Honoré, observant de marcher par des rues différentes ; nous nous réunîmes au bout du faubourg. Nos chevaux étaient frais : nous ne tardâmes point à découvrir les six gardes et les deux misérables voitures que vous vîtes à Passy il y a deux ans. Ce spectacle faillit m’ôter la force et la connaissance. « Ô Fortune, m’écriai-je, Fortune cruelle ! accorde-moi ici du moins la mort ou la victoire. »

Nous tînmes conseil un moment sur la manière dont nous ferions notre attaque. Les archers n’étaient guère à plus de quatre cents pas devant nous, et nous pouvions les couper en passant au travers d’un petit champ, autour duquel le grand chemin tournait. Le garde du corps fut d’avis de prendre cette voie, pour les surprendre en fondant tout d’un coup sur eux. J’approuvai sa pensée, et je fus le premier à piquer mon cheval. Mais la fortune avait rejeté impitoyablement mes vœux.

Les archers, voyant cinq cavaliers accourir vers eux, ne doutèrent point que ce ne fût pour les attaquer. Ils se mirent en défense, en préparant leurs baïonnettes et leurs fusils d’un air assez résolu.

Cette vue, qui ne fit que nous animer le garde du corps et moi, ôta tout d’un coup le courage à nos trois lâches compagnons : ils s’arrêtèrent comme de concert, et, s’étant dit entre eux quelques mots que je n’entendis point, ils tournèrent la tête de leurs