Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nature soumise, non raisonneuse, altérée des sources supérieures, encline à la spiritualité, largement crédule à l’invisible ; une intelligence de la famille de Malebranche en métaphysique ; une de ces âmes qui, ainsi qu’il l’a dit de sa Cécile, se portent d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure, et s’en croient empêchées par les ténèbres des sens et le poids de la chair. Il obéit à un élan de cette voix mystique en entrant chez les Bénédictins : seulement il compta trop sur ses forces, ou peut-être, parce qu’il s’en défiait beaucoup, il se hâta de s’interdire solennellement toute récidive de défaillance. Le sacrifice une fois consommé, la conscience lucide lui revint : « Je reconnus, dit-il, que ce cœur si vif était encore brûlant sous la cendre. La perte de ma liberté m’affligea jusqu’aux larmes. Il était trop tard. Je cherchai ma consolation, durant cinq ou six ans, dans les charmes de l’étude ; mes livres étaient mes amis fidèles, mais ils étaient morts comme moi ! »

L’étude, en effet, qui, suivant sa propre expression, a des douceurs, mais mélancoliques et toujours uniformes ; ce genre d’étude surtout, héritage démembré des Mabillon, austère, interminable, monotone comme une pénitence, sans mélange d’invention et de grâces, pouvait suffire uniquement à la vie d’un dom Marten, non à celle de dom Prévost. Il y était propre toutefois, mais il l’était aussi à trop d’autres matières plus attrayantes. On l’occupa successivement dans les diverses maisons de l’ordre : à Saint-Ouen de Rouen, où il eut une polémique à son avantage avec un jésuite appelé Le Brun ; à l’abbaye du Bec, où, tout en approfondissant la théologie, il fit connaissance d’un grand seigneur retiré de la cour qui lui donna peut-être la pensée de