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rompre. Il continua de me dire qu’il ne m’était point allé voir au Châtelet, pour se donner plus de facilité à me servir, lorsqu’on le croirait sans liaison avec moi ; que depuis quelques heures que j’en étais sorti, il avait eu le chagrin d’ignorer où je m’étais retiré, et qu’il avait souhaité de me voir promptement, pour me donner le seul conseil dont il semblait que je pusse espérer du changement dans le sort de Manon, mais un conseil dangereux, auquel il me priait de cacher éternellement qu’il eût part : c’était de choisir quelques braves qui eussent le courage d’attaquer les gardes de Manon lorsqu’ils seraient sortis de Paris avec elle. Il n’attendit point que je lui parlasse de mon indigence. « Voilà cent pistoles, me dit-il en me présentant une bourse, qui pourront vous être de quelque usage : vous me les remettrez lorsque la fortune aura rétabli vos affaires. » Il ajouta que si le soin de sa réputation lui eût permis d’entreprendre lui-même la délivrance de ma maîtresse, il m’eût offert son bras et son épée.

Cette excessive générosité me toucha jusqu’aux larmes. J’employai, pour lui marquer ma reconnaissance, toute la vivacité que mon affliction me laissait de reste. Je lui demandai s’il n’y avait rien à espérer par la voie des intercessions auprès du lieutenant général de police : il me dit qu’il y avait pensé, mais qu’il croyait cette ressource inutile, parce qu’une grâce de cette nature ne pouvait se demander sans motif, et qu’il ne voyait pas bien quel motif on pouvait employer pour se faire un intercesseur d’une personne grave et puissante ; que