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pensez. Préparez le plus noir de vos cachots, je vais travailler à le mériter. »

En effet, mes premières résolutions n’allaient à rien moins qu’à me défaire des deux G*** M*** et du lieutenant général de police, et fondre ensuite à main armée sur l’hôpital avec tous ceux que je pourrais engager dans ma querelle. Mon père lui-même eût à peine été respecté dans une vengeance qui me paraissait si juste ; car le concierge ne m’avait pas caché que lui et G*** M*** étaient les auteurs de ma perte.

Mais lorsque j’eus fait quelques pas dans la rue, et que l’air eut un peu rafraîchi mon sang et mes humeurs, ma fureur fit place peu à peu à des sentiments plus raisonnables. La mort de nos ennemis eût été d’une faible utilité pour Manon, et elle m’eût exposé sans doute à me voir ôter tous les moyens de la secourir. D’ailleurs aurais-je eu recours à un lâche assassinat ? Quelle autre voie pouvais-je m’ouvrir à la vengeance ? Je recueillis toutes mes forces et tous mes esprits pour travailler d’abord à la délivrance de Manon, remettant tout le reste après le succès de cette importante entreprise.

Il me restait peu d’argent ; c’était néanmoins un fondement nécessaire, par lequel il fallait commencer. Je ne voyais que trois personnes de qui j’en pusse attendre : M. de T***, mon père et Tiberge. Il y avait peu d’apparence d’obtenir quelque chose des deux derniers, et j’avais honte de fatiguer l’autre par mes importunités. Mais ce n’est point dans le désespoir qu’on garde des ménagements. J’allai