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toujours. Il me resta même quelque chose de cette pensée lorsque je revins à moi. Je tournai mes regards vers toutes les parties de la chambre et sur moi-même, pour m’assurer si je portais encore la malheureuse qualité d’homme vivant. Il est certain qu’en ne suivant que le mouvement naturel qui fait chercher à se délivrer de ses peines, rien ne pouvait me paraître plus doux que la mort, dans ce moment de désespoir et de consternation. La religion même ne pouvait me faire envisager rien de plus insupportable après la vie que les convulsions cruelles dont j’étais tourmenté. Cependant, par un miracle propre à l’amour, je retrouvai bientôt assez de force pour remercier le ciel de m’avoir rendu la connaissance et la raison. Ma mort n’eût été utile qu’à moi ; Manon avait besoin de ma vie pour la délivrer, pour la secourir, pour la venger : je jurai de m’y employer sans ménagement.

Le concierge me donna toute l’assistance que j’eusse pu attendre du meilleur de mes amis. Je reçus ses services avec une vive reconnaissance. « Hélas ! lui dis-je, vous êtes donc touché de mes peines ! Tout le monde m’abandonne, mon père même est sans doute un de mes plus cruels persécuteurs : personne n’a pitié de moi. Vous seul, dans le séjour de la dureté et de la barbarie, vous marquez de la compassion pour le plus misérable de tous les hommes ! » Il me conseillait de ne point paraître dans la rue sans être un peu remis du trouble où j’étais. « Laissez, laissez, répondis-je en sortant ; je vous reverrai plus tôt que vous ne