ma maîtresse. Je n’osai même parler d’elle aux guichetiers en leur présence. Hélas ! mes tristes recommandations eussent été bien inutiles : l’ordre cruel était venu en même temps que celui de ma délivrance. Cette fille infortunée fut conduite une heure après à l’hôpital, pour y être associée à quelques malheureuses qui étaient condamnées à subir le même sort.
Mon père m’ayant obligé de le suivre à la maison où il avait pris sa demeure, il était presque six heures du soir lorsque je trouvai le moment de me dérober de ses yeux pour retourner au Châtelet. Je n’avais dessein que de faire tenir quelques rafraîchissements à Manon, et de la recommander au concierge ; car je ne me promettais pas que la liberté de la voir me fût accordée. Je n’avais point encore eu le temps non plus de réfléchir aux moyens de la délivrer.
Je demandai à parler au concierge. Il avait été content de ma libéralité et de ma douceur ; de sorte qu’ayant quelques dispositions à me rendre service, il me parla du sort de Manon comme d’un malheur dont il avait beaucoup de regret, parce qu’il pouvait m’affliger. Je ne compris point ce langage. Nous nous entretînmes quelques moments sans nous entendre. À la fin, s’apercevant que j’avais besoin d’une explication, il me la donna telle que j’ai déjà eu horreur de vous la dire, et que je l’ai encore de la répéter.
Jamais apoplexie violente ne causa d’effet plus subit et plus terrible. Je tombai avec une palpitation de cœur si douloureuse, qu’à l’instant que je perdis la connaissance je me crus délivré de la vie pour