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neur d’en avoir. J’ai usé de quelque supercherie au jeu : M. le marquis de*** et le comte de*** n’ont point d’autres revenus ; M. le prince de*** et M. le duc de*** sont les chefs d’une bande de chevaliers du même ordre. » Pour ce qui regardait mes desseins sur la bourse des deux G*** M***, j’aurais pu prouver aussi facilement que je n’étais pas sans modèle ; mais il me restait trop d’honneur pour ne pas me condamner moi-même, avec tous ceux dont j’aurais pu me proposer l’exemple ; de sorte que je priai mon père de me pardonner cette faiblesse aux deux violentes passions qui m’avaient agité, la vengeance et l’amour.

Il me demanda si je pouvais lui donner quelques ouvertures sur les plus courts moyens d’obtenir ma liberté, et d’une manière qui pût lui faire éviter l’éclat. Je lui appris les sentiments de bonté que le lieutenant général de police avait pour moi. « Si vous trouvez quelques difficultés, lui dis-je, elles ne peuvent venir que de la part des G*** M*** ; ainsi je crois qu’il serait à propos que vous prissiez la peine de les voir. » Il me le promit.

Je n’osai le prier de solliciter pour Manon ; ce ne fut point un défaut de hardiesse, mais un effet de la crainte où j’étais de le révolter par cette proposition, et de lui faire naître quelque dessein funeste à elle et à moi. Je suis encore à savoir si cette crainte n’a pas causé mes plus grandes infortunes en m’empêchant de tenter les dispositions de mon père, et de faire des efforts pour lui en inspirer de favorables à ma malheureuse maîtresse. J’aurais peut-être excité encore une fois sa pitié ; je l’aurais mis en garde