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les jours, tel que les désordres d’un fils vicieux qui a perdu tout sentiment d’honneur ! Tu ne dis rien, malheureux ! ajouta-t-il ; voyez cette modestie contrefaite et cet air de douceur hypocrite : ne le prendrait-on pas pour le plus honnête homme de sa race ? »

Quoique je fusse obligé de reconnaître que je méritais une partie de ces outrages, il me parut néanmoins que c’était les porter à l’excès. Je crus qu’il m’était permis d’expliquer naturellement ma pensée.

« Je vous assure, monsieur, lui dis-je, que la modestie où vous me voyez devant vous n’est nullement affectée : c’est la situation naturelle d’un fils bien né qui respecte infiniment son père, et surtout un père irrité. Je ne prétends pas non plus passer pour l’homme le plus réglé de notre race. Je me connais digne de vos reproches ; mais je vous conjure d’y mettre un peu plus de bonté, et de ne pas me traiter comme le plus infâme de tous les hommes : je ne mérite pas des noms si durs. C’est l’amour, vous le savez, qui a causé toutes mes fautes. Fatale passion ! hélas ! n’en connaissez-vous pas la force ? et se peut-il que votre sang, qui est la source du mien, n’ait jamais ressenti les mêmes ardeurs ? L’amour m’a rendu trop tendre, trop passionné, trop fidèle, et peut-être trop complaisant pour les désirs d’une maîtresse toute charmante ; voilà mes crimes. En voyez-vous là quelqu’un qui vous déshonore ? Allons, mon père, ajoutai-je tendrement, un peu de pitié pour un fils qui a toujours été plein de respect et d’affection pour vous, qui n’a pas renoncé,