Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.

être pardonnable d’avoir cherché le plaisir d’une petite vengeance, ou du moins vous me croirez assez puni par l’affront que je viens de recevoir. Il n’est besoin ni de prison ni de supplice pour me forcer de vous découvrir où est monsieur votre fils. Il est en sûreté : mon dessein n’a pas été de lui nuire ni de vous offenser. Je suis prêt à vous nommer le lieu où il passe tranquillement la nuit, si vous me faites la grâce de nous accorder la liberté. »

Ce vieux tigre, loin d’être touché de ma prière, me tourna le dos en riant : il lâcha seulement quelques mots pour me faire comprendre qu’il savait notre dessein jusqu’à l’origine. Pour ce qui regardait son fils, il ajouta brutalement qu’il se trouverait assez, puisque je ne l’avais pas assassiné. « Conduisez-les au petit Châtelet, dit-il aux archers, et prenez garde que le chevalier ne vous échappe. C’est un rusé qui s’est déjà sauvé de Saint-Lazare. »

Il sortit et me laissa dans l’état que vous pouvez vous imaginer. « Ô ciel ! m’écriai-je, je recevrai avec soumission tous les coups qui viennent de ta main ; mais qu’un malheureux coquin ait le pouvoir de me traiter avec cette tyrannie, c’est ce qui me réduit au dernier désespoir ! » Les archers nous prièrent de ne pas les faire attendre plus longtemps. Ils avaient un carrosse à la porte. Je tendis la main à Manon pour descendre. « Venez, ma chère reine, lui dis-je, venez vous soumettre à toute la rigueur de notre sort. Il plaira peut-être au ciel de nous rendre quelque jour plus heureux. »

Nous partîmes dans le même carrosse : elle se mit