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me fit faire cette indiscrétion. Il appela aussitôt cinq ou six autres archers qui l’attendaient à la porte, et il leur ordonna de s’assurer de tous les domestiques de la maison. « Ah ! monsieur le chevalier, reprit-il d’un ton railleur, vous savez où est mon fils, et vous le ferez étrangler, dites-vous ? Comptez que nous y mettrons bon ordre. » Je sentis aussitôt la faute que j’avais commise.

Il s’approcha de Manon, qui était assise sur le lit en pleurant ; il lui dit quelques galanteries ironiques sur l’empire qu’elle avait sur le père et sur le fils, et sur le bon usage qu’elle en faisait. Ce vieux monstre d’incontinence voulut prendre quelques familiarités avec elle : « Garde-toi de la toucher ! m’écriai-je, il n’y aurait rien de sacré qui te pût sauver de mes mains. » Il sortit en laissant trois archers dans la chambre, auxquels il ordonna de nous faire prendre promptement nos habits.

Je ne sais quels étaient alors ses desseins sur nous. Peut-être eussions-nous obtenu la liberté en lui apprenant où était son fils. Je méditais en m’habillant si ce n’était pas le meilleur parti ; mais s’il était dans cette disposition en quittant notre chambre, elle était bien changée lorsqu’il y revint. Il était allé interroger les domestiques de Manon, que les archers avaient arrêtés. Il ne put rien apprendre de ceux qu’elle avait reçus de son fils ; mais, lorsqu’il sut que Marcel nous avait servis auparavant, il résolut de le faire parler en l’intimidant par des menaces.

C’était un garçon fidèle, mais simple et grossier… Le souvenir de ce qu’il avait fait à l’hôpital pour