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« Ô Dieu ! c’est le vieux G*** M***, » dis-je à Manon. Je saute sur mon épée ; elle était malheureusement embarrassée dans mon ceinturon. Les archers, qui virent mon mouvement, s’approchèrent aussitôt pour me la saisir : un homme en chemise est sans résistance. Ils m’ôtèrent tous les moyens de me défendre.

G*** M***, quoique troublé par ce spectacle, ne tarda point à me reconnaître : il remit encore plus aisément Manon. « Est-ce une illusion ? nous dit-il gravement : ne vois-je point le chevalier des Grieux et Manon Lescaut ? » J’étais si enragé de honte et de douleur, que je ne lui fis pas de réponse. Il parut rouler pendant quelque temps diverses pensées dans sa tête ; et comme si elles eussent allumé tout d’un coup sa colère, il s’écria en s’adressant à moi : « Ah ! malheureux, je suis sûr que tu as tué mon fils ! » Cette injure me piqua vivement. « Vieux scélérat, lui répondis-je avec fierté, si j’avais eu à tuer quelqu’un de ta famille, c’est par toi que j’aurais commencé. — Tenez-le bien, dit-il aux archers ; il faut qu’il me dise des nouvelles de mon fils ; je le ferai pendre demain, s’il ne m’apprend tout à l’heure ce qu’il en a fait. — Tu me feras pendre ? repris-je. Infâme ! ce sont tes pareils qu’il faut chercher au gibet. Apprends que je suis d’un sang plus noble et plus pur que le tien. Oui, ajoutai-je, je sais ce qui est arrivé à ton fils ; et si tu m’irrites davantage, je le ferai étrangler avant qu’il soit demain, et je te promets le même sort après lui. »

Je commis une imprudence en lui confessant que je savais où était son fils ; mais l’excès de ma colère