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l’après-midi ; s’il s’était querellé avec quelqu’un, s’il avait pris part au démêlé d’un autre, s’il s’était trouvé dans quelque maison suspecte. Celui-ci, qui croyait son maître dans le dernier danger, et qui s’imaginait ne devoir plus rien ménager pour lui procurer du secours, découvrit tout ce qu’il savait de son amour pour Manon et de la dépense qu’il avait faite pour elle ; la manière dont il avait passé l’après-midi dans sa maison, jusqu’aux environs de neuf heures, sa sortie et le malheur de son retour. C’en fut assez pour faire soupçonner au vieillard que l’affaire de son fils était une querelle d’amour. Quoiqu’il fût au moins dix heures et demie du soir, il ne balança point à se rendre aussitôt chez M. le lieutenant de police. Il le pria de faire donner des ordres particuliers à toutes les escouades du guet ; et lui en ayant demandé une pour se faire accompagner, il courut lui-même vers la rue où son fils avait été arrêté : il visita tous les endroits de la ville où il espérait le pouvoir trouver ; et, n’ayant pu découvrir ses traces, il se fit conduire enfin à la maison de sa maîtresse, où il se figura qu’il pouvait être retourné.

J’allais me mettre au lit lorsqu’il arriva. La porte de la chambre étant fermée, je n’entendis point frapper à celle de la rue ; mais il entra, suivi de deux archers, et, s’étant informé inutilement de ce qu’était devenu son fils, il lui prit envie de voir sa maîtresse pour tirer d’elle quelque lumière. Il monte à l’appartement, toujours accompagné de ses archers. Nous étions prêts à nous mettre au lit ; il ouvre la porte, et nous glace le sang par sa vue.