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qu’il lui était survenu des affaires qui le retenaient malgré lui, et qu’il m’avait prié de venir lui en faire ses excuses et souper avec elle ; ce que je regardais comme une grande faveur auprès d’une si belle dame. Elle seconda fort adroitement mon dessein. Nous nous mîmes à table ; nous y prîmes un air grave pendant que les laquais demeurèrent à nous servir. Enfin, les ayant congédiés, nous passâmes une des plus charmantes soirées de notre vie. J’ordonnai en secret à Marcel de chercher un fiacre, et de l’avertir de se trouver le lendemain à la porte avant six heures du matin. Je feignis de quitter Manon vers minuit ; mais, étant rentré doucement par les secours de Marcel, je me préparai à occuper le lit de G*** M*** comme j’avais rempli sa place à table.

Pendant ce temps-là, notre mauvais génie travaillait à nous perdre. Nous étions dans le délire du plaisir, et le glaive était suspendu sur nos têtes. Le fil qui le soutenait allait se rompre ; mais, pour mieux faire entendre toutes les circonstances de notre ruine, il faut en éclaircir la cause.

G*** M*** était suivi d’un laquais lorsqu’il avait été arrêté par le garde du corps. Ce garçon, effrayé de l’aventure de son maître, retourna en fuyant sur ses pas, et la première démarche qu’il fit pour le secourir fut d’aller avertir le vieux G*** M*** de ce qui venait d’arriver.

Une si fâcheuse nouvelle ne pouvait manquer de l’alarmer beaucoup. Il n’avait que ce fils, et sa vivacité était extrême pour son âge. Il voulut d’abord savoir du laquais tout ce que son fils avait fait