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assez de résolution pour l’arrêter dans la rue, et de fidélité pour le garder à vue jusqu’au lendemain ; que pour lui, il promettait de l’amuser encore une heure pour le moins, par des raisons qu’il tenait prêtes pour son retour.

Je montrai ce billet à Manon, et je lui appris de quelle ruse je m’étais servi pour m’introduire librement chez elle. Mon intention et celle de M. de T*** lui parurent admirables. Nous en rîmes à notre aise pendant quelques moments ; mais, lorsque je lui parlai de la dernière comme d’un badinage, je fus surpris qu’elle insistât sérieusement à me la proposer comme une chose dont l’idée la ravissait. En vain lui demandai-je où elle voulait que je trouvasse tout d’un coup des gens propres à arrêter G*** M*** et à le garder fidèlement. Elle me dit qu’il fallait du moins tenter, puisque M. de T*** nous garantissait encore une heure ; et pour réponse à mes autres objections, elle me dit que je faisais le tyran, et que je n’avais pas de complaisance pour elle. Elle ne trouvait rien de si joli que ce projet. « Vous aurez son couvert à souper, me répétait-elle ; vous coucherez dans ses draps, et demain de grand matin vous enlèverez sa maîtresse et son argent. Vous serez bien vengé du père et du fils. »

Je cédai à ses instances malgré les mouvements secrets de mon cœur, qui semblaient me présager une catastrophe malheureuse. Je sortis dans le dessein de prier deux ou trois gardes du corps, avec lesquels Lescaut m’avait mis en liaison, de se charger du soin d’arrêter G*** M***. Je n’en trouvai qu’un au logis ; mais c’était un homme entreprenant, qui