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me suivît à l’heure même. « Je le veux bien, me dit-elle ; mais vous n’approuvez donc pas mon projet ? — Ah ! n’est-ce pas assez, repartis-je, que j’approuve tout ce que vous avez fait jusqu’à présent ? — Quoi ! nous n’emporterons pas même les dix mille francs ? répliqua-t-elle : il me les a donnés ; ils sont à moi. » Je lui conseillai d’abandonner tout, et de ne penser qu’à nous éloigner promptement ; car, quoiqu’il y eût à peine une demi-heure que j’étais avec elle, je craignais le retour de G*** M***. Cependant elle me fit de si pressantes instances pour me faire consentir à ne pas sortir les mains vides, que je crus lui devoir accorder quelque chose après avoir tant obtenu d’elle.

Dans le temps que nous nous préparions au départ, j’entendis frapper à la porte de la rue. Je ne doutais nullement que ce ne fût G*** M*** ; et dans le trouble où cette pensée me jeta, je dis à Manon que c’était un homme mort s’il paraissait. Effectivement je n’étais pas assez revenu de mes transports pour me modérer à sa vue. Marcel finit ma peine en m’apportant un billet qu’il avait reçu pour moi à la porte : il était de M. de T***.

Il me marquait que G*** M*** étant allé lui chercher de l’argent à sa maison, il profitait de son absence pour me communiquer une pensée fort plaisante ; qu’il lui semblait que je ne pouvais me venger plus agréablement de mon rival qu’en mangeant son souper et en couchant cette nuit dans le même lit qu’il espérait d’occuper avec ma maîtresse ; que ce projet lui paraissait assez facile, si je pouvais m’assurer de trois ou quatre hommes qui eussent