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s’il devait me quitter, et il m’a assuré que son retour ne tarderait point : c’est ce qui fait que je ne vous vois point ici sans inquiétude, et que j’ai marqué de la surprise à votre arrivée. »

J’écoutai ce discours avec beaucoup de patience. J’y trouvais assurément quantité de traits cruels et mortifiants pour moi ; car le dessein de son infidélité était si clair, qu’elle n’avait pas même eu le soin de me le déguiser. Elle ne pouvait espérer que G*** M*** la laissât toute la nuit comme une vestale. C’était donc avec lui qu’elle comptait de la passer. Quel aveu pour un amant ! Cependant je considérai que j’étais cause en partie de sa faute, par la connaissance que je lui avais donnée d’abord des sentiments que G*** M*** avait pour elle, et par la complaisance que j’avais eue d’entrer aveuglément dans le plan téméraire de son aventure. D’ailleurs, par un tour naturel du génie qui m’est particulier, je fus touché de l’ingénuité de son récit et de cette manière bonne et ouverte avec laquelle elle me racontait jusqu’aux circonstances dont j’étais le plus offensé. Elle pèche sans malice, disais-je en moi-même ; elle est légère et imprudente, mais elle est droite et sincère. Ajoutez que l’amour suffisait seul pour me fermer les yeux sur toutes ses fautes. J’étais trop satisfait de l’espérance de l’enlever le soir même à mon rival. Je lui dis néanmoins : « Et la nuit, avec qui l’auriez-vous passée ? » Cette question, que je lui fis tristement, l’embarrassa. Elle ne me répondit que par des mais et des si interrompus.

J’eus pitié de sa peine ; et, rompant ce discours, je lui déclarai nettement que j’attendais d’elle qu’elle