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lui avait fait voir le carrosse, les chevaux et tout le reste de ses présents ; après quoi il lui avait proposé une partie de jeu pour attendre le souper.

« Je vous avoue, continua-t-elle, que j’ai été frappée de cette magnificence. J’ai fait réflexion que ce serait dommage de nous priver d’un seul coup de tant de biens, en me contentant d’emporter les dix mille francs et les bijoux ; que c’était une fortune toute faite pour vous et pour moi, et que nous pourrions vivre agréablement aux dépens de G*** M***.

» Au lieu de lui proposer la comédie, je me suis mis dans la tête de le sonder sur votre sujet, pour pressentir quelles facilités nous aurions à nous voir, en supposant l’exécution de mon système. Je l’ai trouvé d’un caractère fort traitable. Il m’a demandé ce que je pensais de vous, et si je n’avais pas eu quelque regret à vous quitter. Je lui ai dit que vous étiez si aimable, et que vous en aviez toujours usé si honnêtement avec moi, qu’il n’était pas naturel que je pusse vous haïr. Il a confessé que vous aviez du mérite et qu’il s’était senti porté à désirer votre amitié.

» Il a voulu savoir de quelle manière je croyais que vous prendriez mon parti, surtout lorsque vous viendriez à savoir que j’étais entre ses mains. Je lui ai répondu que la date de notre amour était déjà si ancienne, qu’il avait eu le temps de se refroidir un peu ; que vous n’étiez pas d’ailleurs fort à votre aise, et que vous ne regarderiez peut-être pas ma perte comme un grand malheur, parce qu’elle vous déchargerait d’un fardeau qui vous pesait sur les