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Je la fis asseoir ; et, m’étant mis à genoux à mon tour, je la conjurai de m’écouter en cet état. Là, tout ce qu’un amant soumis et passionné peut imaginer de plus respectueux et de plus tendre, je le renfermai en peu de mots dans mes excuses. Je lui demandai en grâce de prononcer qu’elle me pardonnait. Elle laissa tomber ses bras sur mon cou, en disant que c’était elle-même qui avait besoin de ma bonté pour me faire oublier les chagrins qu’elle me causait, et qu’elle commençait à craindre avec raison que je ne goûtasse point ce qu’elle avait à me dire pour se justifier. « Moi ! interrompis-je aussitôt ; ah ! je ne vous demande point de justification, j’approuve tout ce que vous avez fait. Ce n’est point à moi d’exiger des raisons de votre conduite : trop content, trop heureux, si ma chère Manon ne m’ôte point la tendresse de son cœur ! Mais, continuai-je en réfléchissant sur l’état de mon sort, toute-puissante Manon, vous qui faites à votre gré mes joies et mes douleurs, après vous avoir satisfaite par mes humiliations et par les marques de mon repentir, ne me sera-t-il point permis de vous parler de ma tristesse et de mes peines ? Apprendrai-je de vous ce qu’il faut que je devienne aujourd’hui, et si c’est sans retour que vous allez signer ma mort en passant la nuit avec mon rival ? »

Elle fut quelque temps à méditer sa réponse.

« Mon chevalier, me dit-elle en reprenant un air tranquille, si vous vous étiez d’abord expliqué si nettement, vous vous seriez épargné bien du trouble, et à moi une scène bien affligeante. Puis-