Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

M. de G*** M*** ; qu’il l’avait envoyé chercher à cinq heures, et qu’ayant suivi le laquais qui l’avait avertie, elle était allée dans une grande maison, où elle l’avait trouvé qui jouait au piquet avec une jolie dame, et qu’ils l’avaient chargée tous deux de me rendre la lettre qu’elle m’avait apportée, après lui avoir appris qu’elle me trouverait dans un carrosse au bout de la rue Saint-André. Je lui demandai s’ils ne lui avaient rien dit de plus. Elle me répondit, en rougissant, qu’ils lui avaient fait espérer que je la prendrais pour me tenir compagnie. « On t’a trompée, lui dis-je, ma pauvre fille, on t’a trompée. Tu es une femme, il te faut un homme ; mais il t’en faut un qui soit riche et heureux, et ce n’est pas ici que tu peux le trouver. Retourne, retourne à M. de G*** M***. Il a tout ce qu’il faut pour être aimé des belles ; il a des hôtels meublés et des équipages à donner. Pour moi, qui n’ai que de l’amour et de la constance à offrir, les femmes méprisent ma misère et font leur jouet de ma simplicité. »

J’ajoutai mille choses, ou tristes, ou violentes, suivant que les passions qui m’agitaient tour à tour cédaient ou reprenaient le dessus. Cependant, à force de me tourmenter, mes transports diminuèrent assez pour faire place à quelques réflexions. Je comparai cette dernière infortune à celles que j’avais déjà essuyées dans le même genre, et je ne trouvai pas qu’il y eût plus à désespérer que dans les premières. Je connaissais Manon : pourquoi m’affliger tant d’un malheur que j’avais dû prévoir ? pourquoi ne pas m’employer plutôt à chercher du remède ? Il était encore temps ; je devais du moins n’y pas