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que je venais de sentir se changea en une profonde douleur. Je ne fis plus que pleurer en poussant des gémissements et des soupirs. « Approche, mon enfant, approche, m’écriai-je en parlant à la jeune fille ; approche, puisque c’est toi qu’on envoie pour me consoler. Dis-moi si tu sais des consolations contre la rage et le désespoir, contre l’envie de se donner la mort à soi-même après avoir tué deux perfides qui ne méritent pas de vivre. Oui, approche, continuai-je en voyant qu’elle faisait vers moi quelques pas timides et incertains. Viens essuyer mes larmes ; viens rendre la paix à mon cœur, viens me dire que tu m’aimes, afin que je m’accoutume à l’être d’une autre que de mon infidèle. Tu es jolie, je pourrai peut-être t’aimer à mon tour. » Cette pauvre enfant, qui n’avait pas seize ou dix-sept ans, et qui paraissait avoir plus de pudeur que ses pareilles, était extraordinairement surprise d’une si étrange scène. Elle s’approcha néanmoins pour me faire quelques caresses ; mais je l’écartai aussitôt en la repoussant de mes mains. « Que veux-tu de moi ? lui dis-je. Ah ! tu es une femme, tu es d’un sexe que je déteste et que je ne puis souffrir. La douceur de ton visage me menace encore de quelque trahison. Va-t’en, et laisse-moi seul ici. » Elle me fit une révérence sans oser rien dire, et elle se tourna pour sortir. Je lui criai de s’arrêter. « Mais apprends-moi du moins, repris-je, pourquoi, comment, à quel dessein tu as été envoyée ici ? Comment as-tu découvert mon nom et le lieu où tu pouvais me trouver ? »

Elle me dit qu’elle connaissait de longue main