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qu’elle vous faisait faire une démarche inutile. Retournez à elle, et dites-lui de ma part qu’elle jouisse de son crime, et qu’elle en jouisse, s’il se peut, sans remords. Je l’abandonne sans retour, et je renonce en même temps à toutes les femmes, qui ne sauraient être aussi aimables qu’elle, et qui sont sans doute aussi lâches et d’aussi mauvaise foi. »

Je fus alors sur le point de descendre et de me retirer sans prétendre davantage à Manon ; et la jalousie mortelle qui me déchirait le cœur se déguisant en une morne et sombre tranquillité, je me crus d’autant plus proche de ma guérison que je ne sentais nul de ces mouvements violents dont j’avais été agité dans les mêmes occasions. Hélas ! j’étais la dupe de l’amour autant que je croyais l’être de G*** M*** et de Manon.

Cette fille qui m’avait apporté la lettre, me voyant prêt à descendre l’escalier, me demanda ce que je voulais donc qu’elle rapportât à M. de G*** M*** et à la dame qui était avec lui ? Je rentrai dans la chambre à cette question ; et, par un changement incroyable à ceux qui n’ont jamais senti de passions violentes, je me trouvai tout d’un coup, de la tranquillité où je croyais être, dans un transport terrible de fureur. « Va, lui dis je, rapporte au traître G*** M*** et à sa perfide maîtresse le désespoir où ta maudite lettre m’a jeté ; mais apprends-leur qu’ils n’en riront pas longtemps, et que je les poignarderai tous deux de ma propre main. » Je me jetai sur une chaise. Mon chapeau tomba d’un côté et ma canne de l’autre ; deux ruisseaux de larmes amères commencèrent à couler de mes yeux. L’accès de rage