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porter de la somme, et qu’elle chargerait du reste mon valet, qu’elle voulait mener avec elle. C’était toujours le même qui l’avait délivrée de l’hôpital, et qui nous était infiniment attaché. Je devais me trouver, avec un fiacre, à l’entrée de la rue Saint-André-des-Arts, et l’y laisser vers les sept heures pour m’avancer dans l’obscurité à la porte de la Comédie. Manon me promettait d’inventer des prétextes pour sortir un instant de sa loge, et de l’employer à descendre pour me rejoindre. L’exécution du reste était facile. Nous aurions regagné mon fiacre en un moment, et nous serions sortis de Paris par le faubourg Saint-Antoine, qui était le chemin de notre nouvelle demeure.

Ce dessein, tout extravagant qu’il était, nous parut assez bien arrangé. Mais il y avait dans le fond une folle imprudence à s’imaginer que, quand il eût réussi le plus heureusement du monde, nous eussions jamais pu nous mettre à couvert des suites. Cependant nous nous exposâmes avec la plus téméraire confiance. Manon partit avec Marcel ; c’est ainsi que se nommait notre valet. Je la vis partir avec douleur. Je lui dis en l’embrassant : « Manon, ne me trompez point, me serez-vous fidèle ? » Elle se plaignit tendrement de ma défiance, et elle me renouvela tous ses serments.

Son compte était d’arriver à Paris sur les trois heures. Je partis après elle. J’allais me morfondre, le reste de l’après-midi, dans le café de Féré, au pont Saint-Michel. J’y demeurai jusqu’à la nuit. J’en sortis alors pour prendre un fiacre que je postai, suivant notre projet, à l’entrée de la rue