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venir dans la même voiture. Quoiqu’il n’y eût pas un seul de nous qui ne portât la trahison dans le cœur, nous nous mîmes à table avec un air de confiance et d’amitié. G*** M*** trouva aisément l’occasion de déclarer ses sentiments à Manon. Je ne dus pas lui paraître gênant ; car je m’absentai exprès pendant quelques minutes.

Je m’aperçus à mon retour qu’on ne l’avait pas désespéré par un excès de rigueur. Il était de la meilleure humeur du monde ; j’affectai de le paraître aussi ; il riait intérieurement de ma simplicité, et moi de la sienne. Pendant tout l’après-midi, nous fûmes l’un pour l’autre une scène fort agréable. Je lui ménageai encore, avant son départ, un moment d’entretien particulier avec Manon ; de sorte qu’il eut lieu de s’applaudir de ma complaisance autant que de la bonne chère.

Aussitôt qu’il fut monté en carrosse avec M. de T***, Manon accourut à moi les bras ouverts, et m’embrassa en éclatant de rire. Elle me répéta ses discours et ses propositions sans y changer un mot. Ils se réduisaient à ceci : il l’adorait ; il voulait partager avec elle quarante mille livres de rente dont il jouissait déjà, sans compter ce qu’il attendait après la mort de son père. Elle allait être maîtresse de son cœur et de sa fortune ; et, pour gage de ses bienfaits, il était prêt à lui donner un carrosse, un hôtel meublé, une femme de chambre, trois laquais et un cuisinier.

« Voilà un fils, dis-je à Manon, bien autrement généreux que son père. Parlons de bonne foi, ajoutai-je ; cette offre ne vous tente-t-elle point ?