Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/179

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle me remercia de la bonne opinion que j’avais d’elle, et elle me promit de recevoir les offres de G*** M*** d’une manière qui lui ôterait l’envie de les renouveler. « Non, lui dis-je, il ne faut pas l’irriter par une brusquerie ; il peut nous nuire. Mais tu sais assez, toi, friponne, ajoutai-je en riant, comment te défaire d’un amant désagréable et incommode. » Elle reprit, après avoir un peu rêvé : « Il me vient un dessein admirable, et je suis toute glorieuse de l’invention. G*** M*** est le fils de notre plus cruel ennemi ; il faut nous venger du père, non pas sur le fils, mais sur sa bourse. Je veux l’écouter, accepter ses présents, et me moquer de lui.

— Le projet est joli, lui dis-je ; mais tu ne songes pas, ma pauvre enfant, que c’est le chemin qui nous a conduits droit à l’hôpital. » J’eus beau lui représenter le péril de cette entreprise, elle me dit qu’il ne s’agissait que de bien prendre nos mesures, et elle répondit à toutes mes objections. Donnez-moi un amant qui n’entre point aveuglément dans tous les caprices d’une maîtresse adorée, et je conviendrai que j’eus tort de céder si facilement. La résolution fut prise de faire une dupe de G*** M***, et, par un tour bizarre de mon sort, il arriva que je devins la sienne.

Nous vîmes paraître son carrosse vers les onze heures. Il nous fit des compliments fort recherchés sur la liberté qu’il prenait de venir dîner avec nous. Il ne fut pas surpris de trouver M. de T***, qui lui avait promis la veille de s’y rendre aussi, et qui avait feint quelques affaires pour se dispenser de