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gardé son secret, s’il n’avait dessein d’employer pour plaire que les voies communes, mais il est bien informé de l’humeur de Manon. Il a su, je ne sais d’où, qu’elle aime l’abondance et les plaisirs ; et comme il jouit déjà d’un bien considérable, il m’a déclaré qu’il veut la tenter d’abord par un très-gros présent et par l’offre de dix mille livres de pension. Toutes choses égales, j’aurais peut-être eu beaucoup plus de violence à me faire pour le trahir ; mais la justice s’est jointe à l’amitié en votre faveur, d’autant plus qu’ayant été la cause imprudente de sa passion en l’introduisant ici, je suis obligé de prévenir les effets du mal que j’ai causé. »

Je remerciai M. de T*** d’un service de cette importance, et je lui avouai, avec un parfait retour de confiance, que le caractère de Manon était tel que G*** M*** se le figurait, c’est-à-dire qu’elle ne pouvait supporter le nom de la pauvreté. « Cependant, lui dis-je, lorsqu’il n’est question que du plus ou du moins, je ne la crois pas capable de m’abandonner pour un autre. Je suis en état de ne la laisser manquer de rien, et je compte que ma fortune va croître de jour en jour. Je ne crains qu’une chose, ajoutai-je ; c’est que G*** M*** ne se serve de la connaissance qu’il a de notre demeure pour nous rendre quelque mauvais office. »

M. de T*** m’assura que je devais être sans appréhension de ce côté-là ; que G*** M*** était capable d’une folie amoureuse, mais qu’il ne l’était point d’une bassesse ; que, s’il avait la lâcheté d’en commettre une, il serait le premier, lui qui parlait, à l’en punir, et à réparer par là le malheur qu’il