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nuit, et il ne nous quitta qu’après s’être félicité de notre connaissance, et nous avoir demandé la permission de venir nous renouveler quelquefois l’offre de ses services. Il partit le matin avec M. de T***, qui se mit avec lui dans son carrosse.

Je ne me sentais, comme j’ai dit, aucun penchant à la jalousie. J’avais plus de crédulité que jamais pour les serments de Manon. Cette charmante créature était si absolument maîtresse de mon âme, que je n’avais pas un seul petit sentiment qui ne fût de l’estime et de l’amour. Loin de lui faire un crime d’avoir plu au jeune G*** M***, j’étais ravi de l’effet de ses charmes, et je m’applaudissais d’être aimé d’une fille que tout le monde trouvait aimable. Je ne jugeai pas même à propos de lui communiquer mes soupçons. Nous fûmes occupés, pendant quelques jours, du soin de faire ajuster ses habits, et à délibérer si nous pouvions aller à la comédie sans appréhender d’être reconnus. M. de T*** revint nous voir avant la fin de la semaine ; nous le consultâmes là-dessus. Il vit bien qu’il fallait dire oui pour faire plaisir à Manon. Nous résolûmes d’y aller le même soir avec lui.

Cependant cette résolution ne put s’exécuter ; car, m’ayant tiré aussitôt en particulier : « Je suis, me dit-il, dans le dernier embarras depuis que je vous ai vu, et la visite que je vous fais aujourd’hui en est une suite. G*** M*** aime votre maîtresse, il m’en a fait confidence. Je suis son intime ami et disposé en tout à le servir ; mais je ne suis pas moins le vôtre. J’ai considéré que ses intentions sont injustes, et je les ai condamnées. J’aurais