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tage, il me pria de consentir qu’il allât lui proposer de venir prendre place avec nous, et de s’accommoder du reste de notre souper. Il prévint l’objection du péril où c’était exposer Manon, que de découvrir sa demeure au fils de notre ennemi, en protestant, sur son honneur et sur sa foi, que, lorsqu’il nous connaîtrait, nous n’aurions point de plus zélé défenseur. Je ne fis difficulté de rien après de telles assurances.

M. de T*** ne nous l’amena point sans avoir pris un moment pour l’informer qui nous étions. Il entra d’un air qui nous prévint effectivement en sa faveur : il m’embrassa ; nous nous assîmes ; il admira Manon, moi, tout ce qui nous appartenait, et il mangea d’un appétit qui fit honneur à notre souper.

Lorsqu’on eut desservi, la conversation devint plus sérieuse. Il baissa les yeux pour nous parler de l’excès où son père s’était porté contre nous. Il nous fit les excuses les plus soumises. « Je les abrège, nous dit-il, pour ne pas renouveler un souvenir qui me cause trop de honte. » Si elles étaient sincères dès le commencement, elles le devinrent bien plus dans la suite ; car il n’eut pas passé une demi-heure dans cet entretien, que je m’aperçus de l’impression que les charmes de Manon faisaient sur lui. Ses regards et ses manières s’attendrirent par degrés. Il ne laissa rien échapper néanmoins dans ses discours ; mais, sans être aidé de la jalousie, j’avais trop d’expérience en amour pour ne pas discerner ce qui venait de cette source.

Il nous tint compagnie pendant une partie de la