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pressions pour les rejeter avec mépris. Mais, entendant ouvrir la porte de l’antichambre, elle empoigna d’une main mes cheveux qui étaient flottants sur mes épaules, elle prit de l’autre son miroir de toilette : elle employa toute sa force pour me traîner dans cet état jusqu’à la porte du cabinet ; et, l’ouvrant du genou, elle offrit à l’étranger, que le bruit semblait avoir arrêté au milieu de la chambre, un spectacle qui ne dut pas lui causer peu d’étonnement. Je vis un homme fort bien mis, mais d’assez mauvaise mine.

Dans l’embarras où le jetait cette scène, il ne laissa pas de faire une profonde révérence. Manon ne lui donna pas le temps d’ouvrir la bouche ; elle lui présenta son miroir : « Voyez, monsieur, lui dit-elle, regardez-vous bien, et rendez-moi justice. Vous me demandez de l’amour : voici l’homme que j’aime et que j’ai juré d’aimer toute ma vie. Faites la comparaison vous-même : si vous croyez pouvoir lui disputer mon cœur, apprenez-moi donc sur quel fondement, car je vous déclare qu’aux yeux de votre servante très-humble, tous les princes de l’Italie ne valent pas un des cheveux que je tiens. »

Pendant cette folle harangue, qu’elle avait apparemment méditée, je faisais des efforts inutiles pour me dégager, et, prenant pitié d’un homme de considération, je me sentais porté à réparer ce petit outrage par mes politesses. Mais, s’étant remis assez facilement, sa réponse, que je trouvai un peu grossière, me fit perdre cette disposition. « Mademoi-