Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.

M. de T***. Je trouvais de la joie dans cet exercice de ma liberté, pour laquelle mon ami m’avait assuré qu’il ne me restait rien à craindre. Cependant il me revint tout à coup à l’esprit que ses assurances ne regardaient que Saint-Lazare, et que j’avais, outre cela, l’affaire de l’hôpital sur les bras, sans compter la mort de Lescaut, dans laquelle j’étais mêlé, du moins comme témoin. Ce souvenir m’effraya si vivement, que je me retirai dans la première allée, d’où je fis appeler un fiacre. J’allai droit chez M. de T***, que je fis rire de ma frayeur. Elle me parut risible à moi-même, lorsqu’il m’eut appris que je n’avais rien à craindre du côté de l’hôpital ni de celui de Lescaut. Il me dit que, dans la pensée qu’on pourrait le soupçonner d’avoir eu part à l’enlèvement de Manon, il était allé le matin à l’hôpital, et qu’il avait demandé à la voir, en feignant d’ignorer ce qui était arrivé ; qu’on était si éloigné de nous accuser, ou lui ou moi, qu’on s’était empressé, au contraire, de lui apprendre cette aventure comme une étrange nouvelle, et qu’on admirait qu’une fille aussi jolie que Manon Lescaut eût pris le parti de fuir avec un valet ; qu’il s’était contenté de répondre froidement qu’il n’en était pas surpris, et qu’on fait tout pour la liberté.

Il continua de me raconter qu’il était allé de là chez Lescaut, dans l’espérance de m’y trouver avec ma charmante maîtresse ; que l’hôte de la maison, qui était un carrossier, lui avait protesté qu’il n’avait vu ni elle ni moi ; mais qu’il n’était pas étonnant que nous n’eussions point paru chez lui, si c’était pour Lescaut que nous devions y venir, parce que nous