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pays libre ; en second lieu, je m’applaudis de ce que Tiberge n’avait pas la moindre idée de la délivrance de Manon et de son retour avec moi : je remarquai même qu’il avait évité de me parler d’elle, dans l’opinion apparemment qu’elle me tenait moins au cœur, puisque je paraissais si tranquille sur son sujet. Je résolus, sinon de retourner dans ma famille, du moins d’écrire à mon père, comme il me le conseillait, et de lui témoigner que j’étais disposé à rentrer dans l’ordre de mes devoirs et de ses volontés. Mon espérance était de l’engager à m’envoyer de l’argent, sous prétexte de faire mes exercices à l’Académie ; car j’aurais eu peine à lui persuader que je fusse dans la disposition de retourner à l’état ecclésiastique, et, dans le fond, je n’avais nul éloignement pour ce que je voulais lui promettre ; j’étais bien aise, au contraire, de m’appliquer à quelque chose d’honnête et de raisonnable, autant que ce dessein pourrait s’accorder avec mon amour. Je faisais mon compte de vivre avec ma maîtresse et de faire en même temps mes exercices. Cela était fort compatible.

Je fus si satisfait de toutes ces idées, que je promis à Tiberge de faire partir le jour même une lettre pour mon père. J’entrai effectivement dans un bureau d’écriture en le quittant, et j’écrivis d’une manière si tendre et si soumise, qu’en relisant ma lettre, je me flattai d’obtenir quelque chose du cœur paternel.

Quoique je fusse en état de prendre et de payer un fiacre après avoir quitté Tiberge, je me fis un plaisir de marcher fièrement à pied en allant chez