Page:Prévost - Manon Lescaut, Charpentier, 1846.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sang plutôt que de les prendre toutes deux. Oui, mon sang tout entier, ajoutai-je après une réflexion d’un moment ; je le donnerais plus volontiers, sans doute, que de me réduire à de basses supplications.

Mais il s’agit bien ici de mon sang ! il s’agit de la vie et de l’entretien de Manon, il s’agit de son amour et de sa fidélité. Qu’ai-je à mettre en balance avec elle ? Je n’y ai rien mis jusqu’à présent : elle me tient lieu de gloire, de bonheur et de fortune. Il y a bien des choses, sans doute, que je donnerais ma vie pour obtenir ou pour éviter ; mais estimer une chose plus que ma vie n’est pas une raison pour l’estimer autant que Manon. Je ne fus pas longtemps à me déterminer après ce raisonnement. Je continuai mon chemin, résolu d’aller d’abord chez Tiberge, et de là chez M. de T***.

En entrant à Paris, je pris un fiacre, quoique je n’eusse pas de quoi le payer ; je comptais sur les secours que j’allais solliciter. Je me fis conduire au Luxembourg, d’où j’envoyai avertir Tiberge que j’étais à l’attendre. Il satisfit mon impatience par sa promptitude. Je lui appris l’extrémité de mes besoins sans nul détour. Il me demanda si les cent pistoles que je lui avais rendues me suffiraient ; et, sans m’opposer un seul mot de difficulté, il me les alla chercher dans le moment, avec cet air ouvert et ce plaisir à donner qui c’est connu que de l’amour et de la véritable amitié.

Quoique je n’eusse pas eu le moindre doute du succès de ma demande, je fus surpris de l’avoir obtenu à si bon marché, c’est-à-dire sans qu’il m’eût querellé sur mon impénitence. Mais je me