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l’emploi que j’occupe ici, je crois qu’il me sera facile de délivrer mademoiselle Manon. »

J’ouvris l’oreille à cette proposition ; et, quoique je fusse dépourvu de tout, je lui fis des promesses fort au-dessus de ses désirs. Je comptais bien qu’il me serait toujours aisé de récompenser un homme de cette étoffe. « Sois persuadé, lui dis-je, mon ami, qu’il n’y a rien que je ne fasse pour toi, et que ta fortune est aussi assurée que la mienne. » Je voulus savoir quels moyens il avait dessein d’employer. « Nul autre, me dit-il, que de lui ouvrir le soir la porte de sa chambre et de vous la conduire jusqu’à celle de la rue, où il faudra que vous soyez prêt à la recevoir. » Je lui demandai s’il n’était point à craindre qu’elle ne fût reconnue en traversant les galeries et les cours. Il confessa qu’il y avait quelque danger ; mais il me dit qu’il fallait bien risquer quelque chose.

Quoique je fusse ravi de le voir si résolu, j’appelai M. de T*** pour lui communiquer ce projet et la seule raison qui pouvait le rendre douteux. Il y trouva plus de difficulté que moi. Il convint qu’elle pouvait absolument s’échapper de cette manière : « Mais si elle est reconnue, continua-t-il, si elle est arrêtée en fuyant, c’est peut-être fait d’elle pour toujours. D’ailleurs il vous faudrait donc quitter Paris sur-le-champ ; car vous ne seriez jamais assez caché aux recherches : on les redoublerait autant par rapport à vous qu’à elle. Un homme s’échappe aisément quand il est seul ; mais il est presque impossible de demeurer inconnu avec une jolie femme. »