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Tout le reste d’une conversation si désirée ne pouvait manquer d’être infiniment tendre. La pauvre Manon me raconta ses aventures, et je lui appris les miennes. Nous pleurâmes amèrement en nous entretenant de l’état où elle était et de celui d’où je ne faisais que de sortir. M. de T*** nous consola par de nouvelles promesses de s’employer ardemment pour finir nos misères. Il nous conseilla de ne pas rendre cette première entrevue trop longue, pour lui donner plus de facilité à nous en procurer d’autres. Il eut beaucoup de peine à nous faire goûter ce conseil. Manon surtout ne pouvait se résoudre à me laisser partir. Elle me fit remettre cent fois sur ma chaise. Elle me retenait par les habits et par les mains. « Hélas ! dans quel lieu me laissez-vous ! disait-elle. Qui peut m’assurer de vous revoir ? » M. de T*** lui promit de la venir voir souvent avec moi. « Pour le lieu, ajouta-t-il agréablement, il ne faut plus l’appeler hôpital ; c’est Versailles depuis qu’une personne qui mérite l’empire de tous les cœurs y est renfermée. »

Je fis en sortant quelques libéralités au valet qui la servait, pour l’engager à lui rendre ses soins avec zèle. Ce garçon avait l’âme moins basse et moins dure que ses pareils. Il avait été témoin de notre entrevue. Ce tendre spectacle l’avait touché. Un louis d’or, dont je lui fis présent, acheva de me l’attacher. Il me prit à l’écart en descendant dans les cours : « Monsieur, me dit-il, si vous me voulez prendre à votre service ou me donner une honnête récompense pour me dédommager de la perte de