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Il me dit qu’il mettait ma visite au rang de ses bonnes fortunes, qu’il regarderait mon amitié comme une de ses plus heureuses acquisitions, et qu’il s’efforcerait de la mériter par l’ardeur de ses services. Il ne promit pas de me rendre Manon, parce qu’il n’avait, me dit-il, qu’un crédit médiocre et mal assuré ; mais il m’offrit de me procurer le plaisir de la voir, et de faire tout ce qui serait en sa puissance pour la remettre entre mes bras. Je fus plus satisfait de cette incertitude de son crédit, que je ne l’aurais été d’une pleine assurance de remplir tous mes désirs. Je trouvai dans la modération de ses offres une marque de franchise dont je fus charmé. En un mot, je me promis tout de ses bons offices. La seule promesse de me faire voir Manon m’aurait fait tout entreprendre pour lui. Je lui marquai quelque chose de ces sentiments d’une manière qui le persuada aussi que je n’étais pas d’un mauvais naturel. Nous nous embrassâmes avec tendresse, et nous devînmes amis, sans autre raison que la bonté de nos cœurs et une simple disposition qui porte un homme tendre et généreux à aimer un autre homme qui lui ressemble.

Il poussa les marques de son estime bien plus loin ; car, ayant combiné mes aventures, et jugeant qu’en sortant de Saint-Lazare je ne devais pas me trouver à mon aise, il m’offrit sa bourse et me pressa de l’accepter. Je ne l’acceptai point, mais je lui dis : « C’est trop, mon cher monsieur. Si, avec tant de bonté et d’amitié, vous me faites revoir ma chère Manon, je vous suis attaché pour toute ma vie. Si vous me rendez tout à fait cette créature,