magnifique à récompenser un si grand sacrifice ; mais confessez qu’avec des cœurs tels que nous les avons, elles sont ici-bas nos plus parfaites félicités. »
Cette fin de mon discours rendit sa bonne humeur à Tiberge. Il convint qu’il y avait quelque chose de raisonnable dans mes pensées. La seule objection qu’il ajouta fut de me demander pourquoi je n’entrais pas du moins dans mes propres principes en sacrifiant mon amour à l’espérance de cette rémunération dont je me faisais une si grande idée. « Ô mon cher ami ! lui répondis-je, c’est ici que je reconnais ma misère et ma faiblesse. Hélas ! oui, c’est mon devoir d’agir comme je raisonne ; mais l’action est-elle en mon pouvoir ? de quels secours n’aurais-je pas besoin pour oublier les charmes de Manon ? — Dieu me pardonne, reprit Tiberge, je pense que voici encore un de nos jansénistes. — Je ne sais ce que je suis, répliquai-je, et je ne vois pas trop clairement ce qu’il faut être ; mais je n’éprouve que trop la vérité de ce qu’ils disent. »
Cette conversation servit du moins à renouveler la pitié de mon ami. Il comprit qu’il y avait plus de faiblesse que de malignité dans mes désordres. Son amitié en fut plus disposée dans la suite à me donner des secours sans lesquels j’aurais péri infailliblement de misère. Cependant je ne lui fis pas la moindre ouverture du dessein que j’avais de m’échapper de Saint-Lazare. Je le priai seulement de se charger de ma lettre ; je l’avais préparée avant qu’il fût venu, et je ne manquai point de prétextes pour colorer la nécessité où j’étais d’écrire. Il eut la fidélité