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fus surpris d’entendre tomber sa première observation sur une vieille chaise qu’il nous fit remarquer dans un coin.

« Combien croiriez-vous, me dit-il, que cette pièce a passé d’années dans le même lieu ? Trente-cinq ans. Car il y en a trente-cinq que j’occupe mon emploi, et j’ai eu le plaisir de remarquer qu’on ne s’en est jamais servi. »

Il semblait même qu’on eût respecté jusqu’à la poussière dont elle était couverte. Mais jetant en même temps les yeux sur les livres qui en étaient voisins, je m’aperçus qu’ils n’étaient pas moins poudreux. Cette remarque me fit naître une idée plaisante, qui fut de mesurer l’épaisseur de la poussière qui était sur les livres et sur la chaise ; et la trouvant à peu près égale, j’offris au caloger de parier que depuis trente-cinq ans la chaise n’avait pas été plus immobile que les livres. Il ne conçut pas aisément ma pensée, quoiqu’il eût fait une attention profonde à mon opération ; et il crut en admirant mon savoir, que j’avais un talent extraordinaire pour découvrir la vérité.

Il avait été marié trois fois, quoique les lois de l’Église grecque interdisent les secondes noces aux ecclésiastiques. La raison qu’il avait fait valoir pour obtenir cette dispense était qu’il n’avait point eu d’enfants des deux premiers lits, et qu’une des fins du mariage étant de contribuer à la propagation de la société, il devait prendre autant de nou-