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naires d’une femme qui a pris l’honneur et la vertu pour son partage. Il m’a dit qu’il faisait son séjour ordinaire dans une campagne. C’est encore une raison pour me persuader qu’il n’apprendra jamais mes malheurs ; et tant qu’il vous a pris pour un négociant, je n’ai pas cru que ce fût le tromper d’une manière désavantageuse pour lui que de le laisser dans l’opinion que j’étais votre fille. Cependant je dois vous avouer, ajouta-t-elle, que depuis qu’il connaît votre rang, et que cette connaissance lui a fait prendre la résolution de vous offrir sa main pour moi dès aujourd’hui, j’ai senti des scrupules que je n’aurais pas tardé à vous communiquer. Voilà le fond de mes sentiments, ajouta-t-elle, et quand vous l’avez vu à mes genoux, je ne l’ai ni souffert dans cette posture, ni autorisé à la prendre par des complaisances criminelles. »

Elle parut se rassurer après cette ouverture, et, comptant que j’allais approuver ses intentions, elle me regarda d’un œil plus tranquille. Mais l’opinion qu’elle avait de son innocence était précisément ce qui causait mon désespoir. J’étais mortellement irrité qu’elle fît si peu d’attention à mes sentiments, ou qu’elle en fût si peu touchée, qu’elle ne parût pas même occupée de la crainte de m’affliger, et qu’elle n’eût rien à combattre pour se livrer à une nouvelle inclination. Cependant la honte me fit renfermer ce cruel dépit au fond de mon cœur,