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en Italie, et qui lui aurait fait oublier éternellement sa patrie, si le plus horrible de tous les malheurs n’eût rompu malgré lui une si belle chaîne. Après avoir joui longtemps de ses amours dans une parfaite tranquillité, le mari de sa maîtresse s’était aperçu de leur commerce. Il leur avait fait avaler dans un repas le même poison. La jeune dame en était morte ; et pour lui, la force de son tempérament l’avait sauvé ; mais ne s’étant rétabli que pour apprendre la mort de ce qu’il aimait, sa douleur l’avait replongé tout d’un coup dans un état plus dangereux que celui dont il sortait. Désespéré qu’elle n’eût pas néanmoins plus d’effet que le poison, il avait cherché la mort par une voie moins criminelle que s’il se l’était donnée de sa propre main, mais qu’il avait cru presque aussi certaine. Il s’était présenté au mari dont il avait mérité la haine, et, lui ayant reproché mille fois sa barbarie, il lui avait offert, en lui découvrant son estomac, la victime qui lui était échappée. Il prenait le Ciel à témoin qu’il avait cru sa mort infaillible et qu’il l’aurait supportée volontiers.

Mais ce cruel mari, le raillant de son transport, lui avait répondu froidement que loin de penser davantage à lui donner la mort, il voyait avec joie qu’il ne pouvait être mieux vengé qu’en lui laissant la vie, et qu’il se réjouissait sincèrement qu’il se fût sauvé d’un poison qui aurait trop tôt fini ses peines.