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gai, il me dit qu’il était donc le plus heureux de tous les hommes, puisqu’ayant conçu une vive passion pour l’esclave de Chériber, il n’avait point à redouter la concurrence ni les oppositions de son ami. Il ne me dissimula rien.

« Je la vis hier, me dit-il, je passai une heure seulement avec elle ; il ne m’est point échappé un mot d’amour. Mais il m’est resté une impression de ses charmes qui ne me permet plus de vivre sans elle. Vous ne la voyez pas du même œil, continua-t-il, je me suis flatté qu’en faveur d’un ami vous abandonneriez sans peine un bien qui vous touche si peu. Mettez-y le prix dont vous la jugez digne, et ne soyez pas si réservé que Chériber, qui n’a pas connu ce qu’elle vaut ! »

Quoique je ne me fusse point attendu à cette proposition, après le service qu’il m’avait rendu, n’ayant rien dans le cœur qui pût me la faire regarder comme une infidélité, je ne me plaignis point qu’elle blessât ni l’honneur ni l’amitié ; mais les mêmes motifs qui m’avaient porté à servir l’esclave, me révoltèrent contre la pensée de lui donner malgré elle un nouveau maître. Je ne fis point d’autre difficulté au Sélictar.

« Si vous m’appreniez, lui dis-je, qu’elle est sensible à votre tendresse, ou qu’elle consent du moins à vous appartenir, j’oublierais tous mes désirs, et j’atteste le Ciel que vous ne me demanderiez pas deux fois