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raisons qui doivent tenir un lecteur en garde. Mais s’il est éclairé, il jugera tout d’un coup qu’en les déclarant avec cette franchise j’étais sûr d’en effacer l’impression par un autre aveu.

J’ai longtemps aimé, je le confesse encore, et peut-être ne suis-je pas aussi libre de ce fatal poison que j’ai réussi à me le persuader. Mais l’amour n’a jamais eu pour moi que des rigueurs. Je n’ai connu ni ses plaisirs, ni même ses illusions, qui dans l’aveuglement où j’étais auraient suffi sans doute pour me tenir lieu d’un bien réel. Je suis un amant rebuté, trahi même, si je dois m’en fier à des apparences dont j’abandonnerai le jugement à mes lecteurs ; estimé néanmoins de ce que j’aimais, écouté comme un père, respecté comme un maître, consulté comme un ami ; mais quel prix pour des sentiments comme les miens ! Et dans l’amertume qui m’en reste encore, est-ce des louanges trop flatteuses ou des exagérations de sentiments qu’on doit attendre de moi, pour une ingrate qui a fait le tourment continuel de ma vie ?

J’étais employé aux affaires du Roi dans une cour dont personne n’a connu mieux que moi les usages et les intrigues. L’avantage que j’avais eu en arrivant à Constantinople de savoir parfaitement la langue turque, m’avait fait parvenir presque tout d’un coup au point de familiarité et de confiance où la plupart des ministres n’arrivent