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d’un bon gentilhomme campagnard, me reçut civilement sans avoir appris qui j’étais, car j’avais renvoyé mon équipage en quittant le cadi ; et paraissant attendre sans empressement mes explications, il me donna tout le temps de lui faire le discours que j’avais médité.

Après lui avoir témoigné que je n’ignorais point ses anciennes infortunes, je le priai de pardonner à l’intérêt que diverses raisons m’y faisaient prendre, une curiosité qu’il pouvait satisfaire aisément. C’était celle de savoir de lui-même depuis quel temps il avait perdu sa femme et sa fille. Il me répondit qu’il y avait quatorze ou quinze ans. Ce temps répondait si juste à l’âge de Théophé, du moins en y joignant les deux ans qu’elle avait alors, que je crus mes doutes à demi levés.

« Croyez-vous, repris-je, que malgré la déclaration du ravisseur, il soit impossible que l’une des deux vive encore ; et s’il paraît désirer pour vous que ce soit votre fille, n’auriez-vous pas quelque reconnaissance pour ceux qui vous feraient voir un jour à la retrouver ? »

Je m’attendais que cette demande allait exciter ses transports. Mais, demeurant dans sa pesanteur, il me dit que le temps, qui avait guéri la douleur de sa perte, empêchait aussi qu’il ne souhaitât des miracles pour la réparer ; qu’il avait plusieurs fils, à qui l’héritage qu’il devait laisser suffirait à peine