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RICHARD WAGNER


protégé à la campagne, où il a une maisonnette « dans la verdure », c’est-à-dire dans le sable de la plage. Devant ce désert, la nostalgie du soleil saisit Wagner. Riga ne sera pas son pays. Il n’a d’autre ressource contre l’ennui que le travail banal du théâtre (où il entre bientôt en lutte avec les goûts de Holtei), et son œuvre personnelle. Il se met à Rienzi, éprouvant dès qu’il se trouve seul devant son papier, cette satisfaction profonde que donne la libre expression des idées. « État de véritable enthousiasme, qui contrastait singulièrement avec la position dans laquelle je me trouvais et ressemblait fort à la gaîté d’un désespéré. » Plus tout ce qui l’entoure lui apparaît mesquin, plus il donne libre cours au grandiose de ses conceptions. Plus Holtei le veut plier aux gentillesses à la mode, plus le compositeur se livre à son démon, s’éploye, gagne en force, en étendue, et devient excessif.

Le public est content de lui cependant. D’abord réservé, méfiant, il se rallie déjà à ce jeune chef fougueux. Le théâtre fait recette. Il est vaste, inélégant (les dames des galeries y viennent tricoter et faire leur dînette pendant le spectacle), mais il présente trois particularités qui frappent l’imagination de Wagner : le parterre est disposé en gradins, comme au cirque ; la salle est sombre ; enfin l’orchestre s’y trouve logé dans une fosse. Détails dont il ne saisit pas d’emblée l’importance, mais qui devaient un jour, beaucoup plus tard, remonter à sa mémoire et déterminer une réforme complète de l’architecture théâtrale.

Comme une première chanteuse manque au personnel, Wagner a l’idée de s’adresser à sa belle-sœur Amélie. Elle répond aussitôt de Dresde, pour accepter, et annonce en même temps le retour de Minna sous le toit paternel. « Triste, démoralisée, celle-ci paraissait sérieusement malade. » Cette nouvelle laisse Wagner insensible. Il a introduit sa demande en divorce ; il sait que sa femme s’est longuement affichée à Hambourg dans la compagnie de Dietrich ; il n’ignore pas que dans le monde du théâtre on parle ouvertement et de manière peu flatteuse, de son ménage. Il ne veut point se réconcilier. Alors Minna prend elle-même la plume et « dans une lettre vraiment touchante, elle m’avoua franchement son infidélité. » Il est dommage que nous ne la possédions plus, cette