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RICHARD WAGNER


niques. Elle le laissa à cette nouvelle manie. Puis elle entreprit un voyage avec la famille d’une de ses amies d’enfance. Des jours passèrent encore. Wagner commençait à s’inquiéter de cette absence d’une durée imprévue, lorsque la sœur aînée de Minna parut chez lui et demanda à son beau-frère l’autorisation maritale nécessaire à l’obtention d’un passeport… Une lettre d’un certain Miller, de Kœnigsberg, vint en même temps expliquer les choses : elle annonçait que le fameux Dietrich était parti pour Dresde, y avait rejoint sa maîtresse dans un hôtel, et le couple, au reçu de ces lignes, aurait sans doute déjà pris le large…

Wagner se rendit à l’adresse qu’on lui indiquait ; les renseignements étalent exacts et sa femme partie une nouvelle fois. « Douleur immense », écrivit-il plus tard, « et qui devait empoisonner toute ma vie. » Ces mots paraissent trop forts ; car son amour n’avait plus depuis longtemps cette fraîcheur qui fait qu’une première infidélité le transforme en un drame, sans équivalent. D’autre part, la déception qu’on ressent d’un acte qui ôte le mystère d’un être aimé et vous révèle sur lui ces ressemblances tant redoutées avec le commun troupeau, dissipe aussitôt toute magie. Wagner apprit qu’une femme peut préférer aux souffrances de l’amour, aux tourments d’un jaloux, aux misères fraternellement partagées, le repos du plaisir médiocre, les facilités d’une bourse bien garnie. Il courut chez sa sœur Ottllie Brockhaus. Il pleura des larmes rares. Il sua ce qui lui restait dans le corps de désir pour cette épouse qui n’avait point su honorer dans son mari le visage encore voilé du génie. Mais si sa fierté fut brisée, son orgueil se renforça. À partir de ce jour, ce qui subsiste dans l’âme de Richard Wagner pour Minna Planer n’est plus que de la pitié — et beaucoup d’agacement. Il se sait fort maintenant, débarrassé, allégé. Il ne trébuchera plus jamais sur cette Madeleine pleurante et repentie. Qu’elle lui revienne ou non, Minna ne l’atteindra plus, ne le travaillera plus. « Il vient un temps où les séparations se font toutes seules… » avait-il écrit au moment de sa dispute avec l’autre Brockhaus. L’expérience Minna pouvait aussi être un bienfait. Il était guéri de cet amour. Il le secouait de son cœur durci. Quelque chose se levait en lui qui était plus impérieux, plus attachant que la volupté. Rienzi, le hantait davantage que sa