avoir d’abord un peu joui de son insouciance dans une ville
qui la comprend. Berlin vaut d’être vu, du reste, et qui sait
al cette « capitale de l’intelligence » ne va pas devenir la
sienne. Le vieil ami Laubé s’y trouve justement, Richard fait
la connaissance de M. Cerf, l’étrange directeur du théâtre
Kœnigstaedt, homme bien en cour, que tout le monde appelle
Mr. le Conseiler de Commission, dont les affaires sont prospères,
l’inculture notoire, l’incompétence magnifique. Cet
exploiteur adroit fit croire au jeune auteur qu’il allait le choisir
comme chef d’orchestre pour sa nouvelle « saison » et
qu’il monterait aussitôt sa Défense d’aimer. Mais tout cela
s’avéra bien vite n’être que fumée et le seul bénéfice que
Richard ait retiré de ce premier séjour berlinois fut l’audition
de Fernand Cortez, dirigé par Spontini en personne. Bien
que les chanteurs laissassent beaucoup à désirer, la précision
des ensembles, l’autorité du vieux chef (qui aimait encore à
s’intituler « compositeur particulier de S. M. l’impératrice
Joséphine » quoiqu’il fût depuis bien des années Directeur
de la musique du Roi de Prusse), sa virtuosité au pupitre
surtout, firent impression sur Wagner. « Je compris, dit-il,
l’effet solennel et particuller des grandes représentations
théâtrales arrivant à s’élever à un genre artistique incomparable
par l’unité rythmique fortement accentuée de toutes les
parties. » Ces mots soigneusement pesés donnent à songer.
Ils jettent une première lumière sur l’orientation nouvelle du
jeune compositeur qui assiste du haut du « poulailler » à ce
spectacle instructif. Déjà vibrent dans son inconscient les
masses harmoniques de Rienzi.
Mais, en attendant, il faut vivre. Il ne gagne plus un sou, et le seul argent dont il dispose est celui que lui envoie Minna. D’où le tire-t-elle ? Des soupçons l’effleurent, à cause d’un certain Schwabe, commerçant aisé, d’origine juive, qu’il venait de retrouver à Berlin après l’avoir quitté à Magdebourg. Or, ce Schwabe admirait beaucoup Minna ; trop sans doute. Comme toujours, les soupçons aiguisent soudain la passion de Richard, en raniment la flamme vacillante. Il faut à tout prix savoir ; et de nouveau le projet du mariage s’agite au fond de ce cœur ombrageux qui croit aspirer à la paix alors qu’au contraire il cherche l’obstacle au delà des fadeurs que dispense cette bourgeoise paisible. Il veut l’enlever de
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