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RICHARD WAGNER


faibles-. « Cette musique n’était qu’un réflexe des influences de la musique française moderne et (pour la mélodie) de l’opéra italien, sur ma sensualité surexcitée. Qui voudrait la comparer à celle des Fées, pourrait à peine comprendre comment, en si peu de temps, une si totale évolution de tendances avait pu se produire. »

Un échec était à prévoir. Il se produisit. Le ténor Freimuller, qui n’avait aucune mémoire, tenta de compenser ses insuffisances en chargeant le rôle de Lucio de quelques drôleries qui restèrent sans effet. Parmi les chanteuses, Mme Pollert (Isabelle) fut applaudie, mais sans conviction, car personne ne comprit rien à l’argument déjà compliqué de Shakespeare et que Wagner avait rendu plus obscur encore en faisant osciller l’intérêt de la novice audacieuse au gouverneur félon. Il n’y eut donc ni enthousiasme ni protestations, mais une tiède cordialité. Sans doute s’était-on ennuyé. À la seconde représentation, qui devait se donner le lendemain au bénéfice de l’auteur (et Wagner avait compté sur elle pour faire face à tout son arriéré), un événement nouveau vint brouiller définitivement les choses. Juste avant le lever du rideau, une scène violente éclata dans les coulisses. M. Pollert, le mari d’Isabelle, se mit à « travailler à coups de poings » le second ténor, un fort joli garçon qui chantait le rôle de Claudio. Mme Pollert accourut et reçut pour sa part quelques horions conjugaux, ce qui la jeta dans une crise de nerfs. Tous les artistes s’en mêlèrent prenant parti pour ou contre l’époux jaloux, si bien que le plateau fut bientôt converti en un champ de bataille. « On aurait pu croire que chacun choisissait cette malheureuse soirée pour régler ses comptes personnels. Le couple auquel M. Pollert avait si rudement intimé « la défense d’aimer », n’étant plus en état de se présenter sur la scéne, le régisseur dut paraître devant le rideau et annoncer qu’en raison de circonstances imprévues, le spectacle était supprimé. »


Dix jours après ce « four », Ottilie, la sœur cadette de Richard, se mariait à Dresde avec le Dr. Hermann Brockhaus, philologue, indianiste savant, et frère cadet de l’éditeur Frédéric. Wagner n’assista pas à la noce. Trop fier pour convenir