Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
RICHARD WAGNER


détendaient de plus en plus. L’oncle Adolphe venait d’y mourir, celui à qui il devait ses premières joies intellectuelles, sa connaissance de Sophocle, de Dante, de Calderon, de Gozzi, le vieil animateur de la maison du « Lion blanc et rouge ». Désormais éloigné pour longtemps de sa famille et de la patrie saxonne, Richard devait, comme beaucoup de jeunes, amoureux, exiger de l’aimée qu’elle lui tînt lieu de tout ce qui lui échappait par le simple jeu de la vie. Elle devenait un peu sa mère, un peu sa sœur Rosalie, et, bien que maintenant ouvertement sa maîtresse, l’instinct et la jalousie avertissaient Richard des dangers qu’il pouvait y avoir à faire d’elle sa femme. Il l’aimait avec passion et colère, la sentant toujours trop passive, trop différente de lui, mais il s’emportait et perdait la tête dès qu’elle faisait mine de renoncer à l’honneur d’un aussi despotique sentiment.

Le devinait-elle ? Éprouvait-elle que sa domination croissait avec l’obstacle ? Ce qui peut apparaître comme une très savante tactique d’amour ne fut peut-être que la stratégie simpliste, parfois inconsciente, mais toujours si efficace, des femmes. Elle partit pour Berlin où l’appelait un engagement au théâtre Kœnigstaedt. Richard en devint comme fou. La douleur et la crainte emportèrent d’assaut les dernières résistances de la raison, et tout ce que n’avait pas pu la présence de sa maîtresse, son absence l’obtint. Il écrivit à Minna des lettres délirantes, offrit de l’épouser et déclara que son refus le jetterait bientôt entre les bras du diable. Elle revint. Richard loua une voiture pour aller à sa rencontre et, pleurant de joie, ramena triomphalement dans son logis la dispensatrice de ses soiffrances et de ses voluptés.

Pourtant, le jour du mariage ne se levait pas. D’abard, parce que l’argent manquait toujours, et il en fallait un minimum pour se mettre en ménage. Ensuite, parce que les dettes s’amoncelaient et que les créanciers redevenaient menaçants. Enfin, parce que Wagner s’était mis en tête de faire représenter sa Défense d’aimer, dont le succès, d’avance escompté, le remettrait sûrement à flot, au moral et su matériel. Il attaque avec entrain son labeur directorial, donne coup sur coup Fra Diavolo, la Jessonda de Spohr, la Muelle de Portici, et le nouvel opéra d’Auber, Lestocq. Succès d’estime, mais le public ne remplit jamais qu’à moitié la salle. Cependant